Le CO2, ressource mal-aimée pour encore combien de temps ?

Publié le par Mastère QSE DD

Chacun a en tête les engagements pris par la communauté internationale dans le cadre de la COP21 début décembre. Ceux-ci ont été formalisés le 22 avril dernier à New York à travers la signature de l’Accord de Paris par 175 pays au siège des Nations Unies. Sur papier, l’énoncé paraît simple : tout mettre en œuvre pour atténuer les effets du changement climatique et financer des solutions d’adaptation face aux impacts que l’on sait déjà irrévocables. Au centre du débat, bien sûr : les émissions de gaz à effet de serre (GES), en tête desquels le dioxyde de carbone (également appelé gaz carbonique ou CO2) pour près des trois quarts et dont la réduction massive constitue le défi majeur des décennies à venir.

Depuis deux siècles, l’équilibre de la planète est perturbé par la dépendance croissante de notre modèle de société et de nos procédés industriels aux énergies fossiles, dont la combustion est en grande partie responsable de nos maux actuels. Chaque année, 360 gigatonnes de CO2 par an sont rejetées dans l’atmosphère par les organismes vivants au terme d’un cycle naturel et sont retransformées en biomasse par la photosynthèse. Le problème auquel l’Homme est confronté tient des émissions anthropiques depuis l’avènement de l’ère industrielle qui génèrent aujourd’hui plus de 35 gigatonnes supplémentaires de CO2 chaque année et viennent renforcer l’effet de serre. Les forêts et les puits océaniques de carbone ne suffisant plus à absorber les émissions humaines de CO2, le résultat a été une montée inexorable des températures qu’il nous faut à tout prix corriger dès maintenant.

Différentes mesures d’atténuation sont connues et déjà mises en œuvre, parmi lesquelles l’efficacité énergétique, le développement des énergies renouvelables non émettrices de GES, le recours à des combustibles à faible teneur en carbone et la mise en place d’une taxe carbone généralisée. En contrepartie, l’Agence Internationale de l’Énergie (l’AIE) estime qu’il faudrait séquestrer 120 gigatonnes de CO2 dans le sol entre 2015 et 2050 pour espérer limiter le réchauffement planétaire à 2°C d’ici 2100, l’objectif consensuel adopté lors de la COP21. Actuellement, 12 installations de captage (ou piégeage) et stockage géologique du CO2 (CSC) sont en fonctionnement dans le monde et 50 millions de tonnes de carbone ont été stockées à ce jour, soit 0,04% de l’objectif de l’AIE, sachant que c’est une technologie particulièrement coûteuse. La Norvège possède la seule installation en Europe depuis la fermeture du projet de Total à Lacq en 2014.

En complément de ces actions, une autre approche consiste à considérer le CO2 comme matière première et le valoriser. Dans cette logique, qui est notamment celle poursuivie par l'ADEME en France, l'utilisation du CO2 s'apparente à du recyclage et a pour ambition d'associer un bénéfice environnemental et une opportunité économique. Le professeur Marc Fontecave, spécialiste en chimie des processus biologiques au Collège de France, considère ainsi que nous avons tout à gagner à valoriser le CO2 en tant que ressource pour réussir notre transition énergétique vers un monde décarboné.

Pour pouvoir valoriser le CO2, il faut tout d’abord le capturer artificiellement en le prélevant soit dans l’air, soit d’un carburant avant sa phase de combustion qui, du coup, ne concernera plus que de l’hydrogène, ou encore dans les fumées à la source d’émission, par exemple à la sortie d’une cheminée ou du pot d'échappement d’un véhicule. Une fois le CO2 récupéré, il s’agit alors de le transformer en molécules d’intérêt pouvant présenter des débouchés industriels.

Le potentiel d’utilisation du CO2 figure au centre de plusieurs procédés d’avenir mis en avant dans de nombreux scénarios de transition énergétique par l’ADEME, l’association négaWatt, ou encore des industriels tels que GrDF et GRTgaz. Parmi les plus médiatisés et les plus crédibles figurent les trois suivants :

  1. La production de biocarburants : Le principe est d’utiliser la photosynthèse naturelle des plantes ayant absorbé naturellement le CO2 présent dans l’air pour en faire des biocarburants. Les biocarburants de troisième génération sont aujourd’hui produits à partir de microorganismes photosynthétiques non comestibles (pour ne pas concurrencer la filière alimentaire) comme les algues ou les cyanobactéries.
  2. L’industrie chimique : Le CO2 peut être utilisé pour la production de polymères ou pour la chimie fine en étant transformé en éthylène ou en propylène, mais aussi dans la production de méthanol (produit de base pour vernis et peintures), d’hydrocarbures ou d’oléfines sous forme de monoxyde de carbone.
  3. Le stockage d’électricité renouvelable : Parmi les solutions de stockage chimique que permet le CO2 figure le Power-to-Gas. Par électrolyse de l’eau, le surplus d’électricité produite et non consommée est converti en hydrogène qui, associé à du CO2 par méthanation peut ensuite être transformé en méthane, un gaz de synthèse renouvelable riche en énergie pouvant être injecté dans les réseaux de gaz naturel.

D’après Marc Robert, professeur au laboratoire d’électrochimie moléculaire du CNRS, les technologies de revalorisation du CO2 ont permis d’en recycler 150 millions de tonnes en 2015, soit moins de 0,5% du total rejeté. Elles ont essentiellement servi à exploiter le dioxyde de carbone sous forme de carbonates dans la fabrication de verres de lunette, de CD et de DVD, ou encore dans la production d’urée utilisée comme fertilisant agricole. Selon Marc Robert, un enjeu majeur sera d’utiliser le CO2 une fois transformé en acide formique, plus riche en énergie, pour stocker de l’énergie solaire dans une pile à combustible. Un autre projet de recherche dans les centrales thermiques et cimenteries porte sur la carbonatation minérale qui reproduit le processus naturel de transformation du CO2 en roche, par exemple pour fabriquer des matériaux de construction.

Les symptômes de l’enjeu qui a mobilisé les pays du monde entier à la COP21 sont évidents et le diagnostic clair pour tous hormis quelques irréductibles sceptiques. Pour pallier le dérèglement climatique, les conclusions du GIEC et de l’AIE sont sans ambages : il nous faut laisser enfouis les hydrocarbures restants. Or ce n’est pas la tendance actuelle que nous pouvons constater au vu de l’actualité : il paraît évident qu’à travers ses activités et son mode de consommation, l’Homme va continuer d’émettre CO2 pendant de longues années à venir. Contrairement aux déchets nucléaires dont on espère un jour pouvoir les traiter sans en avoir la certitude, des solutions existent qui permettent de valoriser le CO2 : autant être pragmatique et les déployer à grande échelle.

Patrick Nouvel

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